Entre jeu et spectacle: rhétorique du let’s play

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Résumé

Né dans le début des années 2000 sur les forums du site Something Awful (où il prenait encore la forme de captures d’écran commentées), le let’s play désigne, aujourd’hui, la captation vidéo d’une session de jeu, durant laquelle le joueur commente ses actions à voix haute. Les vidéos ainsi produites peuvent prendre des formats divers (être diffusées en direct ou en différé ; être plus ou moins longues, plus ou moins retravaillées en postproduction…), mais elles ont généralement en commun une certaine légèreté de ton et une esthétique assez brute, marquée par l’improvisation et la spontanéité (qu’elle soit réelle ou jouée). Riches à bien des égards, ces vidéos nous intéresseront ici en tant qu’elles mettent en question l’existence d’une frontière entre l’activité ludique et la production de détournements, de réécritures. En effet, les let’s plays dérivent bien d’expériences de jeu : ils conservent en majeure partie le gameplay et la linéarité des titres qui leur servent de support, et certaines vidéos sont enregistrées en direct et à peine retouchées. Ces dernières sont, en outre, plutôt étiquetées comme de simples captations que comme des œuvres autonomes. Néanmoins, à travers l’analyse d’un corpus de let’s plays francophones, nous montrerons que certaines vidéos construisent – par l’accumulation de divers mécanismes rhétoriques – un « effet d’écart » par rapport au jeu qu’elles mettent en scène. À travers des figures de spectacularisation, d’anti-jeu, de fictionnalisation et d’ironie, elles élaborent et signalent leur statut de détournements, d’expériences de jeu « au second degré ». Ces dernières figures sont, d’autre part, régulièrement entrecoupées de retours à l’interactivité, au respect du gameplay et à un premier degré du jeu : l’alternance entre des saillances génératrices d’écart (qui autonomisent la vidéo de l’expérience ludique) et d’autres qui réconcilient la vidéo et le jeu empêche toute normalisation du détournement, toute « lexicalisation » des procédés mobilisés. L’œuvre dérivée est ainsi située dans un entre-deux instable, au point de friction entre jeu et création – deux régimes d’expérience dont les frontières sont donc constamment renégociées.
langue originaleFrançais
titreSociabilités numériques
EditeurAcademia Press
Etat de la publicationPublié - 2020
Modification externeOui

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