Géraldine Mathieu et Anne-Catherine Rasson, juristes spécialistes de la défense des droits fondamentaux de l’enfant !

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Entretien tout en dynamisme, passion et brio conjugués avec deux jeunes juristes, ô combien brillantes, de l’Université de Namur, toutes deux conférencières le 6 mai prochain dans le cadre du Collège Belgique au Palais provincial. Leur pétillance commune, à vrai dire débordante, a déteint sur l’accueil chaleureux qu’elles nous ont octroyé pour cette rencontre qui, il faut bien l’avouer, procure une immense énergie propice à mieux comprendre et éclairer des sujets, fort délicats par ailleurs, comme ceux entourant l’intérêt de l’enfant. Géraldine Mathieu est docteur en sciences juridiques avec une thèse portant sur le secret des origines en droit de la filiation (adoption, accouchement secret, procréation médicalement assistée avec donneur, gestation pour autrui, inceste et empreintes génétiques). Pour sa part, Anne-Catherine Rasson est doctorante à la faculté de droit et prépare une thèse consacrée à une : « Théorie critique de la protection constitutionnelle des droits fondamentaux de l’enfant ». 


Géraldine Mathieu est maître de conférences à l’Université de Namur où elle enseigne le droit de la famille, avec le professeur Jacques Fierens. Elle dispense également le cours de Bioéthique et droits de l’homme dans le cadre du Master complémentaire en droits de l’homme à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Géraldine Mathieu est par ailleurs chargée de projets et formatrice en droits de l'enfant pour l’ONG Défense des Enfants International (DEI-Belgique – www.dei-belgique.be) et membre du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (www.lecide.be), du Centre de droit de la personne, de la famille et de son patrimoine (CeFAP-UCL), du Comité d'éthique de la Clinique et Maternité Sainte-Élisabeth à Namur et du comité de rédaction de la Revue trimestrielle de droit familial. Elle a également été avocate au barreau de Namur de 2000 à 2007.

De son côté, Anne-Catherine Rasson est passionnée par les droits de l’homme, par le droit constitutionnel et plus particulièrement par les droits de l’enfant. Elle est également membre du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant (CIDE) et de l'Unité de droit constitutionnel de l'Unamur. Aujourd’hui, assistante à la faculté de droit de l’Université de Namur, professeur au CPFB et professeur invité à la Haute École Francisco Ferrer, elle excelle dans un enseignement qu’elle affectionne tout particulièrement. Sachons aussi que, de 2006 à 2011, Anne-Catherine Rasson a été avocate au Barreau de Bruxelles, au sein du cabinet de Jean Bourtembourg.

« Les enfants ne sont pas les personnes de demain ; ils sont des personnes dès aujourd’hui. Ils ont le droit d’être pris au sérieux ; ils ont le droit d’être traités avec tendresse et respect » (J. KORCZAK). C’est avec cette citation que vous présentez votre conférence en duo, le 6 mai prochain, dans le cadre du Collège Belgique, au Palais provincial de Namur, intitulée : L’intérêt de l’enfant dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de filiation. Mais, tout d’abord, comment en êtes-vous arrivées à travailler ensemble ? Car à vous lire, il semble qu’entre vous est née une complicité intellectuelle, voire une synergie et des complémentarités ? Comment cela a-t-il démarré ?


G.M. : Je me souviens de la première fois où j’ai discuté avec Anne-Catherine, nous nous sommes retrouvées, au restaurant de mon mari, le Pâtanthrope ici à Namur, assises l’une à côté de l’autre lors d’un repas de faculté ! Elle venait d’arriver du barreau à l’Université comme assistante en droit constitutionnel. J’avais moi-même été avocate, mais pour des raisons personnelles, les conflits familiaux dont je m’occupais devenaient durs à porter. Et immédiatement elle m’a plu ! Outre sa personnalité passionnée, enthousiaste et sa vivacité d’esprit, j’ai été fortement sensibilisée à son histoire professionnelle où elle cherchait aussi une sorte de reconversion avec également en perspective un meilleur épanouissement personnel. Ce fut un premier moment clé entre des personnalités assez similaires qui en somme se retrouvaient. Nous avions en commun l’étude du droit de la filiation qui a été fortement modifié par une réforme en 2006. Le premier arrêt de la Cour constitutionnelle est tombé en 2010 et cela n’a cessé depuis lors. Je me suis donc intéressée à toute cette jurisprudence et à ce qu’elle apportait à la loi que j’enseignais par ailleurs. Le second moment clé a été un séminaire organisé à Louvain-la-Neuve.

A-C.R. : Oui, c’est là que tout a commencé, nous avions été boire un verre ensemble après ce séminaire de droit constitutionnel qui avait pour objet de faire le point sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de filiation. Nous nous sommes rendu compte que nous avions un champ de recherche commun qui s’ouvrait à nous, avec beaucoup de choses à faire !

G.M. : Anne-Catherine avait au préalable déjà écrit son premier article sur le sujet de l’intérêt de l’enfant par rapport au premier arrêt rendu par la Cour, et elle m’avait du reste citée à plusieurs reprises, sans toutefois alors me connaître…

A-C.R. : Oui, j’avais même été voir qui pouvait bien être cette Géraldine Mathieu qui travaillait dans la même faculté !

G.M. : Et nous avons commencé ce chantier de l’intérêt de l’enfant dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de filiation. En fait, j’étais très enthousiaste à l’idée de pouvoir discuter et partager mes idées avec quelqu’un sur une thématique commune, alors même que nous avions deux casquettes différentes, l’une en droit de la famille, l’autre en droit constitutionnel. En somme, un terrain commun avec deux approches distinctes mais complémentaires.

A-C.R. : Cela a été de suite très stimulant ! Surtout que j’arrivais avec cette casquette de spécialiste en droit constitutionnel et en droits de l’homme. J’avais écrit sur les droits constitutionnels de l’enfant et plus spécifiquement la prise en compte de l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions qui le concernent. Ce droit s’appliquait en effet selon mon regard à toutes les matières sans se poser de questions. Tandis qu’en droit de la famille, on était beaucoup plus méfiant par rapport à ce principe, car ce n’était pas si clair que cela, me disait Géraldine. Au début, on pouvait donc ne pas se comprendre. Nous n’avions pas le même langage alors même que nous étions juristes, toutes les deux !

Pourquoi l’importance de la Cour constitutionnelle ? Et en quoi sa jurisprudence importe-t-elle tant pour l’intérêt de l’enfant ? Et d’abord, qu’est-ce que la jurisprudence ?

A-C.R. : La jurisprudence, ce sont les décisions de justice. En général, les juges appliquent la loi aux cas d’espèces qui leur sont soumis. Mais les juges peuvent également interpréter la loi lorsqu’elle manque de clarté. De leur côté, la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État ont un rôle un peu différent. Ils s’occupent des contentieux dits objectifs – à la différence des contentieux subjectifs traités par le pouvoir judiciaire – qui ne sont donc pas des règlements de conflits entre personnes. La Cour constitutionnelle et le Conseil d’État contrôlent en effet des règles de droit. Le second s’occupe des règles de niveau réglementaire – des arrêtés royaux jusqu’aux règlements communaux – tandis que la première va juger les lois, décrets et ordonnances en Belgique par rapport à leur conformité à certains articles de la Constitution et, notamment, aux droits de l’homme protégés en son sein.

D’ailleurs, tout récemment, la Cour constitutionnelle ne vient-elle pas de statuer sur le droit des parents de ne pas inscrire leur enfant à un cours de religion ou de morale ?

A-C.R. : Oui, tout à fait ! La Cour peut donc décider d’annuler une loi. En cas d’annulation, cette loi est supprimée et disparaît de l’ordonnance juridique. Par contre, la Cour ne peut pas modifier la loi elle-même. Elle peut, par exemple, dire qu’il y a une lacune dans la loi mais ne peut pas la combler ! C’est au législateur à prendre le relais.

Pourriez-vous nous donner un exemple en matière de filiation ?

A-C.R. : Oui, et nous l’expliquerons lors de la conférence, c’est le cas par exemple d’un père qui veut rompre un lien de filiation. Il va devant le juge compétent du pouvoir judiciaire qui doit appliquer les règles du Code civil. Mais si le Code lui-même ne respecte pas certains articles de la Constitution, comme le respect de la vie privée ou la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, ou encore le principe d’égalité et de non-discrimination, le juge doit poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, et c’est à elle de dire si oui ou non le Code civil respecte les droits de l’homme invoqués. Si la Cour dit que le Code civil viole la Constitution, le juge judiciaire doit alors faire ‘comme si’ la disposition litigieuse n’existait pas et alors appliquer le Code ‘modifié’. A priori, cet arrêt de la Cour constitutionnelle n’a d’effet que pour ce litige-là : il n’a qu’une ‘autorité relative de la chose jugée’. Mais, en réalité, l’arrêt a un effet plus élargi, car lorsqu’une question similaire se pose, les juges peuvent, à certaines conditions, appliquer à nouveau l’arrêt, ce même dans des dossiers différents.

Le Code civil est-il donc lacunaire par rapport à la singularité de certains droits subjectifs ?

A-C.R. : Oui, tout à fait ! Depuis la dernière réforme du droit de la filiation en 2006, la Cour constitutionnelle a déjà rendu près d’une vingtaine d’arrêts – vingt-quatre précisément aujourd’hui – en remettant en question toute une série d’articles du Code civil ! Ce qui veut dire que nous avons désormais quelque part un Code civil revu par cette Cour. On peut donc en déduire qu’il est aujourd’hui devenu lacunaire… Quant à nous, nous tentons d’étudier l’impact de ces arrêts de la Cour constitutionnelle sur le Code civil et sur l’évolution des droits de l’homme et des droits de l’enfant en la matière.

Ne se trouve-t-on pas dès lors devant des difficultés pour tous les intervenants ?

G.M. : Oui, car cela devient fort complexe à la fois pour les personnes qui lisent la loi, qui n’est plus appliquée de cette façon, mais aussi pour les praticiens parce qu’il faut arriver à s’y retrouver en ne lisant pas uniquement la loi mais également tous les arrêts de la Cour constitutionnelle. La tâche est également complexe pour le législateur qui devrait anticiper ces éventuelles violations des normes constitutionnelles. Et ce n’est pas chose facile car la Cour constitutionnelle s’inspire beaucoup de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui elle-même est évolutive…

A-C.R. : Ce qui est très compliqué, car la Cour européenne des droits de l’homme rend des décisions concernant des cas particuliers et a ainsi une mission très différente de celle confiée à la Cour constitutionnelle.

Comment les droits de l’enfant se manifestent-ils concrètement ? Car il est vulnérable, ne pouvant pas se défendre lui-même ?

A-C.R. : Oui, et notre position commune sur l’intérêt de l’enfant, qui est du reste désormais celle de la Cour, est de dire qu’il faut tenir compte des intérêts de toutes les parties concernées, parents et enfant, mais aussi de l’intérêt général, tout en donnant un poids particulier à l’enfant compte tenu de sa vulnérabilité.

G.M. : On s’arrache par contre toujours les cheveux sur cette distinction entre les droits de l’enfant in abstracto, lorsqu’on fait une loi, et ce même intérêt de l’enfant, in concreto, devant le juge dans un cas bien précis. Un exemple est celui de l’enfant incestueux. En droit belge, un enfant qui naît d’une relation incestueuse ne peut voir sa double filiation établie à l’égard de ses parents. Le législateur a considéré, en amont in abstracto, que révéler pour cet enfant qu’il était le fruit d’une relation avec empêchement à mariage était contraire à son intérêt. C’est le tabou de l’inceste. Mais un jour, un frère et une sœur, ne connaissant pas le lien incestueux qui les unit (ils avaient la même mère) tombent amoureux et ont des enfants. Pas de mariage possible, pas de cohabitation légale ni de filiation paternelle puisque la loi l’interdit. Cette histoire prend une tournure dramatique lorsque le père décède sur le chemin du travail. Se pose alors la question de l’héritage : les enfants n’avaient droit à rien ! La mère a été devant la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité de la loi dans le but de faire établir le lien de filiation post mortem en évoquant des raisons psychologiques et financières. Et la Cour constitutionnelle l’a suivie !

Autre exemple, on peut aussi imaginer un couple non marié. À la naissance de l’enfant, le père biologique veut reconnaître cet enfant et la mère s’y oppose. Elle en a le droit. Le père dispose d’un recours devant le tribunal de la famille. Test ADN concluant, la Cour constitutionnelle a néanmoins posé l’exigence d’un contrôle de l’intérêt de l’enfant, quel que soit son âge. Cela signifie que ce père biologique, face à un refus de la mère, sera soumis à un pouvoir d’appréciation du juge en fonction de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation établie ou pas.

D’autres cas sont plus compliqués encore. Lorsqu’une femme, par exemple, a consenti à une reconnaissance par un homme qui n’est pas le père biologique, ou lorsqu’une femme mariée a un amant comme père biologique de son enfant. Si le père biologique et le père légal se disputent la paternité, cela devient un vrai casse-tête pour le juge : que faut-il privilégier, les liens de sang ou du cœur ?

Pour conclure sur cette question, je pense qu’il est important de bien avoir en tête qu’être un géniteur ne fera jamais de vous un père, il faut le vouloir…

Propos recueillis par Robert Alexander

Quelques orientations bibliographiques :
Géraldine Mathieu : 
Le secret des origines en droit de la filiation, Waterloo, Kluwer, 2014, 600 p.
Les droits de l’enfant expliqués aux grands : Pour que les jeunes et les adultes les comprennent et les respectent, Couleurs livres, 2014, 147 p.
Le droit de l'enfant de connaître ses origines : Outil pédagogique réalisé pour DEI Belgique, Bruxelles, 2014, téléchargeable gratuitement sur www.dei-belgique.be

Anne-Catherine Rasson : 
« La réalisation des droits de l'enfant dans le contexte de la famille », Journal du droit des jeunes, n° 331, 2014, p. 20-30.
« Jusqu'où peut aller la responsabilité d'une école en cas de violence entre élèves ? L'arrêt Kayak de la Cour européenne des droits de l'homme », Journ. dr. j., novembre 2013, p. 15-21 (avec Anne Rasson-Roland).
« Les droits constitutionnels des enfants », in Marc Verdussen et Nicolas Bonbled (dir.), Les droits constitutionnels en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2011, vol. 2, p. 1599-1636 (avec Anne Rasson-Roland).

En duo … G. Mathieu et A-C. Rasson
- « Les fins de non-recevoir en matière de filiation : entre verrous absolus et verrous relatifs. Étude des trois derniers arrêts de la Cour constitutionnelle – n° 46/2013, n° 96/2013 et n° 105/2013 », J.T., 2013, p.  673-679.
- « L’intérêt de l’enfant sur le fil : réflexions à partir des arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de filiation », J.T., 2013, p. 425-436.
- « L’interdit de l’inceste : une norme symbolique évanescente ? », Journal du droit des jeunes, novembre 2012, p. 23-34. Également publié in Journ. dr. j.français, 2013/1, n° 321, p. 58-63.

période1 avr. 2015

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