Vers une description des registres de la langue des signes de Belgique francophone (LSFB)
: Aspects phonologiques et variations phonétiques

Student thesis: Doc typesDocteur en Langues, lettres et traductologie

Résumé

La question au centre de ce projet doctoral concerne la variation des registres en langue des signes de Belgique francophone (LSFB) : comment se manifestent les changements linguistiques dus à la variété des contextes énonciatifs dans une langue signée ? Quels paramètres influencent ce type de variation ? Quelles caractéristiques permettent de distinguer un discours formel d'un discours informel en LSFB? Abordant ces différentes questions, ce projet vise à dresser un panorama des registres de la LSFB en fonction de leurs caractéristiques phonétiques et phonologiques.

Contexte : Ce travail prend pour point de départ le contexte de diversification des usages de la LSFB. Dans les dernières décennies, de nombreux changements ont affecté l’évolution de la LSFB suite au développement et à la diversification de ses usages (Meurant, Sinte, Van Herreweghe et Vermeerbergen 2013). En 2000, elle est devenue une langue d’enseignement à part entière avec la mise en place d’un programme bilingue français-LSFB à l’école Sainte-Marie de Namur et, en 2003, elle a été reconnue comme l’une des langues officielles de la Belgique. La LSFB évolue aussi parallèlement à l’évolution de la place des Sourds dans la société. Ceux-ci y occupent plus d’espaces qu’auparavant et la LSFB y est de plus en plus souvent choisie comme langue de communication. Enfin, les avancées technologiques récentes permettent pour la première fois un mode de transmission différé de la langue, à la fois spatialement et temporellement. L’usage d’enregistrements vidéo et de plateformes de diffusion en ligne a vu l’émergence de nouveaux genres discursifs dont certains ont des finalités qui se rapprochent des celles traditionnellement associées à l’écrit. En particulier, ces nouveaux moyens de diffusion permettent une transmission libre de la langue dans le temps et dans l’espace de même qu’ils ouvrent la voie à la création de données éditées et éditables. D’après Meurant, Sinte, Van Herreweghe et Vermeerbergen. (2013), tous ces aspects sont propices au développement de variétés stylistiques en LSFB et à l’apparition de distinctions liées au caractère formel ou informel des échanges.

Cadre méthodologique : Le cadre analytique privilégié dans cette étude est celui de la sociolinguistique de tradition labovienne dite « de première vague » (ex. Labov 1966, 1972, 1997 ; Laks 1992, 2000 ; Eckert 2012 ; Bayley 2013) qui repose sur ces deux idées fondamentales : (1) la variation est inhérente à tout système linguistique et (2) la variation n’est pas aléatoire, mais constitue une forme d’hétérogénéité structurée. Nous proposons une analyse quantitative des phénomènes de variation qui repose sur des modèles à effets-mixtes (Quené et Van Den Bergh 2004 ; Gries 2015) conduits dans Rbrul (Johnson 2017) et dans R (R Core Team 2012) à l’aide du module lme4 (Bates, Maechler et Bolker 2012 ; Winter 2013).

Hypothèse : L’une des formes de la variation selon les registres de langue en LSFB est liée au phénomène de réduction phonétique. Warner (2011) définit les formes réduites comme les variantes phonétiques qui présentent des changements relativement à ce qui serait attendu de la prononciation soignée d’un même mot. Ces variations peuvent être de trois types : il peut s’agir d’une altération des segments, de leur suppression ou encore d’une diminution globale des contrastes phonétiques entre les segments. Diverses études portant sur des corpus oraux de langues vocales ont investigué la fréquence des réductions dans des données conversationnelles, celles-ci pouvant comprendre de 14 à 20 % de formes réduites (Warner 2011). Les études de Hanique, Ernestus et Schuppler (2013) et Ernestus, Hanique et Verboom (2015) basées sur des corpus de néerlandais parlé ont mis en évidence le fait qu’au sein d’une même langue ces pourcentages varient grandement d’un registre à l’autre : les registres formels contiennent sensiblement moins de réductions que les registres informels. Qu’en est-il en LSFB?

Variables : Trois phénomènes sont sélectionnés afin d’étudier cette question en LSFB :
(a) l’abaissement de la main dominée dans les signes symétriques
(b) l’abaissement des signes frontaux
(c) la chute de la main dominée dans les signes à deux mains

Contenu de la Thèse :

Chapitre I : Création d’un corpus expérimental regroupant les productions d’un signeur natif de la LSFB dans quatre contextes distincts variant selon deux axes : la formalité (formel vs. informel) et l’attention au langage (discours métalinguistiques vs. discours non-métalinguistiques). À partir de l’observation des données vidéo, nous opérons la sélection de six variables d’ordre phonologique susceptibles de varier d’un extrait à l’autre : (1) le comportement de la main dominée, (2) la répétition des mouvements internes aux signes, (3) la précision du contact entre les mains dans les signes symétriques, (4) le relâchement de la configuration « B », (5) l’abaissement de la main dominée dans les signes symétriques, (6) l’abaissement des signes frontaux. En dehors de la variable (2) liée à la répétition des mouvements internes aux signes, toutes les autres variables sont sensibles à la variation selon les registres de langue. Une analyse à partir de facteurs de pondération (« factor weights ») nous permet de comprendre le rôle respectif de chaque facteur sur la variation ainsi que la dynamique de leur interaction. Le facteur formalité détermine la direction de l’influence sur les variables : en contexte formel, les variables réduites sont défavorisées ; en contexte informel, les variables réduites sont favorisées. Le facteur métalinguistique détermine la proportion de cette influence : en contexte métalinguistique formel, les variables réduites sont fortement défavorisées ; en contexte métalinguistique informel, les variables réduites sont légèrement favorisées.

Chapitre II et III: Études approfondies de l’abaissement de la main dominée dans les signes symétriques (chapitre II) et de l’abaissement des signes frontaux (chapitre III) sur la base des productions de quatre signeurs dans quatre contexte distincts (vidéos en ligne, cours ou conférences, narrations, conversations). Nous avons mis au point une méthode de mesure des abaissements à partir de la méthode de Russell, Wilkinson et Janzen (2011), adaptée aux spécificités de nos données. Pour ces deux catégories de signes, plus un contexte est formel, plus les articulations des signes sont précises ; plus un contexte est informel, plus les articulations sont relâchées et les signes abaissés. Le contexte phonétique joue également un rôle important dans la réalisation de ces variables. Concernant les signes frontaux d’une part, nos résultats indiquent qu’ils sont significativement plus abaissés lorsqu’ils sont précédés par une pause que lorsqu’ils sont précédés par d’autres signes. Les signes frontaux sont également plus fortement abaissés lorsqu’ils sont précédés ou suivis par un signe réalisé à la hauteur du corps que par un signe réalisé à la hauteur de la tête. Concernant les signes symétriques d’autre part, la main dominée y est significativement plus abaissée lorsque le signe est précédé ou suivi par un signe à une main que lorsqu’il est précédé ou suivi par un signe à deux mains. Nous suggérons que le registre module les effets du contexte phonétique sur la réalisation des abaissements, autrement dit qu’il peut diminuer ou augmenter ses effets.

Chapitre IV : Étude quantitative des variables à une et deux mains des signes à deux mains en vue d’étudier le phénomène de suppression de la main dominée dans les signes à deux mains ou « weak drop » (Battison 1974; Padden et Perlmutter 1987; van der Kooij 2001; Paligot, van der Kooij, Crasborn et Bank 2016). Cette étude se base sur l’ensemble des annotations du Corpus LSFB (Meurant 2015) disponibles en décembre 2016, soit environ 12 heures d’enregistrement. Dans l’ensemble du corpus, nous observons que les signes à deux mains sont articulés à deux mains à 88 % et à une main à 9,5%. Le pourcentage restant (2,5 %) représente les articulations hétérogènes. Les facteurs étudiés sont (1) les registres de langue, (2) le profil d’acquisition de la langue (natif, quasi-natif ou tardif (Notarrigo 2017)), (3) l’âge, (4) le sexe des signeurs ainsi que (5) la fréquence des signes. Concernant la variation selon les registres de langue, nous observons une variation significative entre les différents genres discursifs (narration, argumentation, description, explication, conversation) et en fonction du degré de préparation. Les tâches du Corpus LSFB préparées par les signeurs favorisent les variables à deux mains comparativement aux tâches non-préparées qui les défavorisent. Concernant les éléments de variation liés aux profils des signeurs, seul le sexe a une influence sur la réalisation des variables à une ou deux mains des signes à deux mains : les hommes réalisent davantage de variables à une main que les femmes. L’âge des signeurs et leur profil d’acquisition n’ont pas d’influence sur les pourcentages de réductions phonétiques. Enfin, la fréquence joue également un rôle dans ce phénomène de variation. Les signes à deux mains les plus fréquents sont plus fréquemment articulés avec une seule main que les signes moins fréquents.

Données : Corpus LSFB (Meurant 2015) http://www.corpus-lsfb.be
la date de réponse19 mars 2018
langue originaleFrançais
L'institution diplômante
  • Universite de Namur
SponsorsFonds de la Recherche Scientifique F.R.S.-FNRS
SuperviseurLaurence Meurant (Promoteur), Jean GIOT (Copromoteur), Adam Schembri (Jury), Mieke Van Herreweghe (Jury), Onno Crasborn (Jury) & Aurelie Sinte (Président)

mots-clés

  • LSFB
  • registres de langue
  • réductions phonétiques
  • phonétique
  • phonologie
  • langue des signes
  • sociolinguistique
  • coarticulation
  • étude de corpus

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