La politique de l’entre-deux. Relecture de la pensée de l’action chez H. Arendt, en dialogue avec J. Patocka et C. Castoriadis

  • Isabelle Delcroix

    Student thesis: Doc typesDocteur en Philosophie

    Résumé

    L’hypothèse centrale de cette recherche consiste à interpréter la pensée arendtienne de l’action en termes de coaction, et d’élaborer ainsi ce qui sera progressivement désigné comme « la politique de l’entre-deux ». Il s’agit de montrer comment et pourquoi il est à la fois possible et nécessaire, au départ de la pensée de H. Arendt, de concevoir l’action – et en particulier l’action politique – comme cet événement qui n’advient que dans l’entre-deux de la rencontre des acteurs, initiant ainsi un monde commun dans lequel nous nous distinguons en devenant égaux. Pour ce faire, cette étude se construit en deux grande parties, la première consistant en une relecture du pouvoir de l’action chez H. Arendt en termes d’entre-deux, et la seconde en l’élaboration concrète de cette politique de l’entre-deux mise en évidence dans la pensée arendtienne, en dialogue avec J. Patocka et C. Castoriadis. La première partie commence par une réinterprétation d’un concept majeur dans l’œuvre de H. Arendt : la pluralité. L’étude de ce concept montre que dès le moment où la pluralité s’avère être condition fondamentale de l’action, celle-ci est à comprendre en termes de coaction, dont l’émergence prend la forme d’un événement. En ce sens, nos rencontres font événement, et c’est au cœur de nos inter-actions que se situe le pouvoir créateur de l’action, qui sera défini par la suite. L’auteur s’attache ensuite à justifier le choix interprétatif précédent, tant au niveau de la compréhension de l’action arendtienne qu’en ce qui concerne l’action politique de manière plus générale. Penser l’action politique comme cet entre-deux qui fait événement n’est ni utopique ni subjectif : une telle démarche se veut en réalité fidèle à une pratique politique qui ne ruine pas sa condition de possibilité. C’est du moins ce que montre – par la négative – une analyse des Origines du totalitarisme qui met au jour, à travers les figures de l’apatride, de l’homme de la masse et de l’homme du camp d’extermination, que ce qui nous est le plus personnel, à savoir cette initiative sans laquelle il n’y a pas d’action possible, n’apparaît que si l’entre-deux propre à la pluralité est à la fois préservé et actualisé. La dernière étape de la première partie se propose deux objectifs. D’abord, elle s’emploie à saisir la dimension proprement politique de l’entre-deux telle qu’elle se manifeste dans la pensée arendtienne au départ de quatre expériences socio-historiques précises : l’âge homérique et la polis athénienne, l’âge Romain et la Constitution rédigée par les Pères fondateurs, les conseils et enfin la désobéissance civile. Ensuite, elle pointe les enjeux et difficultés pour qui veut élaborer, au départ de l’entre-deux qui se forme dans nos rencontres, une politique au sens fort du terme : à la formidable puissance de création de la coaction s’associe une grande fragilité qui rend son institutionnalisation extrêmement difficile ; quant à l’originalité de sa spécificité relationnelle elle va de paire avec l’ambiguïté de son statut (s’agit-il de politique de l’entre-deux ou d’un mouvement d’ordre social ?) et exige dès lors de penser l’émergence de l’action politique dans sa dimension incarnée. L’auteur montre que H. Arendt prend peu en considération la question du corps propre et n’aborde jamais de front celle de la création : si c’est au cœur de son œuvre que la politique de l’entre-deux a pu être mise en évidence, répondre aux défis posés par l’élaboration d’une telle politique requiert [donc] d’élargir l’horizon arendtien à d’autres champs de pensée. C’est à cette démarche qu’est consacrée la seconde partie de cette étude, qui se propose de répondre aux défis d’une politique de l’entre-deux. Un premier moment est construit en dialogue avec la phénoménologie du monde de J. Patocka, qui définit l’action comme cet espace en mouvement au travers d’acteurs qui se présentent comme autant de « je peux » qui ne découvrent et ne déploient leurs capacités – parmi lesquelles il faut principalement citer celle de l’autonomie – que pour autant qu’ils agissent ensemble. La coaction se conçoit alors comme un processus d’ « intertransformation » qui change le monde tout transformant les acteurs. Néanmoins, alors que la pensée du phénoménologue tchèque, contrairement à la pensée arendtienne, souligne l’inévitable importance du corps pour l’action, elle faillit lorsqu’il s’agit de penser l’ancrage mondain de l’action politique. Le moment suivant se propose de dépasser cette difficulté en pensant l’action comme ce qui crée un monde, comme cet événement que nous faisons advenir à plusieurs et qui prend une forme concrète au gré de nos promesses mutuelles – ce qui revient à penser la coaction comme cocréation. C’est en dialogue avec C. Castoriadis que cette conception est développée : le penseur grec est effectivement un des rares philosophes qui ait élaboré une interprétation de l’histoire et de l’action en termes de création. La confrontation de l’idée de coaction avec celle d’auto-organisation, telle qu’on la trouve dans les écrits castoriadiens de Socialisme ou Barbarie, permet d’abord de concrétiser le pouvoir créateur de nos « inter-actions » au travers des expériences du mouvement ouvrier. S’élabore ensuite une critique de l’ontologie castoriadienne de l’imaginaire radical, laquelle se trouve au fondement de ses écrits philosophiques. Cette ontologie comporte effectivement le risque de délaisser le lieu véritable de l’action (à savoir : l’entre-deux de la rencontre des acteurs) au profit d’un imaginaire collectif qui ne suffit pas à expliquer l’action collective. Pour éviter cette aporie, la dernière étape de cette recherche suggère de penser l’imaginaire en termes de mémoire vivante, comme ces significations qui sont tout à la fois le fruit de la coaction (ou encore de la cocréation) et ce monde depuis et dans lequel nos actions se forment. Quant à l’action politique, elle ne se conçoit dès lors plus en termes de projet comme le défend Castoriadis tout au long de son œuvre, mais devient à la fois le principe qui anime la coaction et l’attitude que chacun des acteurs peut développer, parce que c’est avec et contre d’autres qu’il agit. En conclusion, l’auteur dégage la triple portée philosophique, sociopolitique et existentielle de son travail, dont il s’attache à esquisser les contours.
    la date de réponse7 oct. 2011
    langue originaleFrançais
    L'institution diplômante
    • Universite de Namur
    SuperviseurEtienne GANTY (Promoteur), Etienne Tassin (Jury), Fabio Ciaramelli (Jury), Sebastien Laoureux (Jury) & Xavier Hermand (Président)

    mots-clés

    • Égalité
    • événement
    • Cocréation
    • Confiance
    • Promesse
    • entre-deux
    • intertransformation
    • signification
    • Coaction
    • Distinction
    • Espace
    • Mouvement
    • Monde
    • commun
    • Corps propre
    • Autonomie

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