Résumé
La description du syndrome de Kabuki date de 1981. Il se caractérise par une dysmorphie faciale, un déficit intellectuel, un retard de croissance, des anomalies squelettiques et des malformations du cœur et des reins. La dysmorphie est très typique avec des fentes palpébrales allongées, une éversion du tiers latéral de la paupière inférieure, des sourcils arqués, une pointe du nez déprimée et des anomalies des oreilles.Comme ce syndrome est très reconnaissable sur le plan phénotypique, des cohortes de patients ont été constituées et de nombreuses recherches génétiques ont été réalisées pour trouver la cause de ce syndrome. Des anomalies du chromosome X ont d’abord été suspectées mais on a découvert en premier lieu des mutations du gène autosomique KMT2D chez une majorité de patients avec un diagnostic clinique de syndrome de Kabuki. Certains patients ne sont cependant pas porteurs de mutations dans ce gène, suggérant une hétérogénéité génique dans le syndrome de Kabuki.
En utilisant la technique de micropuces à ADN (microarray CGH), nous avons identifié deux microdélétions similaires sur le chromosome X chez deux filles. Chez la première, un diagnostic de syndrome de Kabuki avait été posé durant l’enfance. La seconde n’avait pas été étiquetée comme telle par les cliniciens mais elle présente des traits du visage, une petite taille et une malformation cardiaque typiques de ce syndrome. Au sein des microdélétions retrouvées, nous avons identifié KDM6A comme un gène candidat potentiel vu qu’il collabore étroitement avec KMT2D lors de la différentiation cellulaire. Nous avons alors séquencé KMT2D et KDM6A dans une cohorte de patients et nous avons trouvé une délétion exonique de KDM6A chez un garçon avec un syndrome de Kabuki typique. Ces trois patients nous ont convaincus que des mutations du gène KDM6A sont responsables du syndrome de Kabuki. Ce gène est localisé sur le chromosome X et échappe partiellement à l’inactivation du chromosome X. Nous avons donc réalisé une analyse cytogénétique de l’inactivation du chromosome X chez les deux filles avec une délétion. Nous avons pu démontrer que le chromosome X avec la microdélétion est préférentiellement inactivé.
Suite à la découverte de mutations dans KDM6A chez des patients atteints du syndrome de Kabuki, nous avons séquencé KMT2D et KDM6A dans une cohorte de 212 patients. Nous avons montré une mutation dans KDM6A chez différents membres d’une famille sur trois générations (2 garçons, leur mère et grand-mère maternelle). Les deux femmes dans cette famille ont des symptômes légers alors que les deux garçons sont plus sévèrement atteints. Nous avons également retrouvé 3 mutations de KDM6A chez trois autres patients. Ces trois patients ont fait l'objet d'une publication incluant trois autres patients en collaboration avec le centre de génétique de Manchester. Dans cet article, nous avons également décrit un autre garçon chez qui le diagnostic a été posé par séquençage complet d’exome. Nous avons comparé l’ensemble de nos patients avec 3 autres patients publiés par Miyake et al. en 2013. Ceci nous a permis de préciser les caractéristiques cliniques des patients avec des mutations dans KDM6A. Typiquement, ils présentent un retard de développement, une petite taille, une microcéphalie, des difficultés alimentaires, une hypotonie, une hyperlaxité, de l’hirsutisme et des anomalies cardiaques. Les traits dysmorphiques typiques sont présents même s'ils sont parfois plus atténués chez les filles. Des incisives centrales larges sont présentes chez certains patients. Les filles semblent moins sévèrement atteintes même si certaines présentent un phénotype sévère. La petite taille, la microcéphalie et l’hirsutisme semblent plus typiques des patients avec une mutation dans KDM6A alors que les patients avec une mutation dans KMT2D ont plus fréquemment des anomalies rénales et une fente palatine. Nous avons retrouvé un hyperinsulinisme chronique chez plusieurs patients avec une mutation de KDM6A alors que ce trouble endocrinien n’est rapporté qu’une seule fois dans la cohorte de patients avec mutations de KMT2D.
Nous avons également étudié plus spécifiquement les patients avec une mutation de KMT2D et qui sont porteurs de malformations congénitales (cœur, rein et fente palatine). Ces malformations étant souvent associées, ils semblent présenter un phénotype plus sévère que les patients qui n’ont pas une de ces trois malformations congénitales. Ceci suggère que ces malformations sont le résultat d’une dérégulation globale des gènes du développement plus sévère chez ces patients, plutôt que de la régulation anormale des gènes de développement d’un organe en particulier suite à un évènement ponctuel sur cette voie de développement (polymorphisme dans un gène modificateur...).
Nous avons établi une liste de toutes les mutations dans KMT2D, publiées ou identifiées dans notre cohorte de patients. Les mutations non-sens et les délétions ponctuelles sont les plus fréquentes et sont réparties tout le long du gène. L’étude des mutations faux-sens nous a permis d’identifier des acides aminés importants en dehors des domaines fonctionnels connus de la protéine.
Nous avons discuté le rôle de KDM6A dans le développement en insistant sur la collaboration entre KDM6A et KMT2D. Ces protéines régulent des gènes importants au cours du développement via la modification des histones (méthylation et déméthylation). Les modifications d’histones constituent un champ de recherche de plus en plus important en cancérologie et en génétique clinique et des mutations dans des gènes codant pour des protéines modifiant les histones sont rapportées chaque année dans diverses pathologies humaines.
Nos recherches ont mis en lumière le rôle potentiel de UTY dans le développement. UTY est le paralogue de KDM6A sur le chromosome X. UTY n’a pas d’activité déméthylase prouvée mais il se pourrait que UTY et KDM6A aient une fonction indépendante de l’activité déméthylase et que cette fonction puisse jouer un rôle important au cours du développement. Nous avons développé les raisons possibles pour lesquelles des sujets féminins avec une mutation dans le gène KDM6A situé sur le chromosome X présenteent parfois un phénotype aussi sévère que les sujets masculins. Un traitement spécifique pour le syndrome de Kabuki n’est pas encore disponible mais certaines expériences récentes in vitro et chez la souris semblent prometteuses.
En conclusion, nous avons découvert des mutations du gène KDM6A chez des patients avec un syndrome de Kabuki. Cette découverte est importante pour les patients et leurs familles car elle permet de leur donner un diagnostic définitif. Vu que des thérapies seront peut-être disponibles pour des affections génétiques spécifiques dans le futur, il est essentiel d’établir un diagnostic moléculaire précis pour identifier les patients qui pourront bénéficier d’un éventuel traitement. Nous avons précisé le phénotype des patients avec des mutations dans KDM6A et nous avons identifié des acides aminés importants en dehors des domaines fonctionnels de la protéine KMT2D. Nous avons discuté de l’impact de notre découverte sur la connaissance des rôles de KDM6A et de son paralogue UTY dans le développement.
la date de réponse | 27 mars 2015 |
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langue originale | Anglais |
L'institution diplômante |
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Superviseur | Isabelle Maystadt (Promoteur), Olivier De Backer (Président), Christine Verellen-Dumoulin (Jury), Sylvie Odent (Jury) & Marie-Cécile Nassogne (Jury) |
mots-clés
- Déficit intellectuel
- Kabuki
- Génétique
- Malformation
- KMT2D
- KDM6A