" 'En ville morte' de Franz Hellens, ou le deuil des vieux maîtres"

Dans cette étude, nous nous proposons d'envisager le rapport entretenu par Hellens, à ses débuts, avec l'héritage symboliste. Comme le veut une tradition bien illustrée par ses prédécesseurs (Lemonnier, Maeterlinck, Demolder, etc.), le jeune écrivain choisit de placer ses débuts littéraires sous le signe de la peinture, tant au niveau du discours critique que du discours romanesque. Son premier roman, "En ville morte", se situe au niveau stylistique comme au niveau thématique (sans parler de la dimension matérielle du livre, orné de dessins de Jules De Bruycker) dans la lignée des transpositions de ses célèbres aînés, soucieux de se présenter comme les dignes héritiers d'une "race de peintres". Malgré cette dette vis-à-vis des incontournables modèles du XIXe siècle et de leur "imagerie", ce livre de jeunesse annonce déjà les futurs engagements esthétiques de l'écrivain. "Réalité fantastique" avant la lettre (Hellens procédera d'ailleurs à une réécriture de ce texte sous le titre de "La Ville sans lumière"), "En ville morte", qui tient encore par certains aspects du "roman poème" symboliste, se décline sous la forme d'une oraison funèbre, un chant du cygne qui exprime un deuil : deuil vis-à-vis d'une ville aimée, mais hantée de fantômes, deuil vis-à-vis d'un art aimé (la peinture, art pratiqué par le jeune Hellens), mais abandonné au profit de l'écriture, deuil vis-à-vis d'une esthétique prégnante, mais qui "a fait son temps". Par sa densité et sa remarquable cohérence interne, par une écriture poétique expressive, ce texte invite à dépasser l'héritage symboliste en lui rendant hommage sur un mode paroxystique. Décrivant une "ville-tombeau", Hellens fait de son roman un "tombeau", au sens poétique du terme, où l'image plastique répond à l'image littéraire, et la reflète.