Quand le télétravail façonne la norme... Jeux d’acteurs, entre régulations et conventions

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Abstract

Constatant les résultats extrêmement mitigés et partiellement inexpliqués des effets du télétravail sur les organisations (voir notamment De Menezes et Kelliher, 2011 ; Martin et MacDonnell, 2012), notre recherche propose de s’intéresser aux usages des pratiques de télétravail comme le produit des dynamiques sociales à l’œuvre depuis l’introduction de la pratique jusqu’à son usage effectif. Dans le cadre du télétravail, si l’on peut s’attendre à ce que l’accord ou l’arrangement autour de l’usage définisse toute une série de règles, de principes ou encore de procédures (Reynaud, 2004), de nombreux auteurs pointent l’incomplétude de ces règles, expliquant ainsi une forme de décalage entre le travail prescrit et le travail réel (Lallement, 2007 ; Cushen et Thompson, 2012). Au-delà des techniques et des processus de travail, c’est la rhétorique managériale autour du télétravail qui est questionnée notamment autour de l’autonomie et de la responsabilisation des acteurs (Thorne, 2005 ; Huws, 2014). Si ces acteurs sont certes autonomes et responsables dans le travail, ils le sont surtout au regard d’un certain espace discrétionnaire défini par le management (Maggi, 2003), s’inscrivant en cela dans le processus de l’action contrainte proposé par Courpasson (2000). Au cœur de notre questionnement résident ces jeux d’acteurs que nous étudions à la lumière de la théorie de la régulation sociale (TRS) et de la théorie des conventions en sciences de gestion (TC) qui permettent, ensemble, à la fois d’interpréter les stratégies d’acteurs en termes de régulation mais également, de comprendre au regard de quel cadre interprétatif (convention) l’activité est régulée (Taskin et Gomez, 2015). Ce cadre d’analyse permet ainsi de comprendre comment se façonne une norme partagée comme produit des régulations entre les acteurs – et de la rhétorique managériale qui l’accompagne – et met en avant la relation dialectique entre les deux théories tout comme la capacité des acteurs à produire des règles conformes ou dissonantes par rapport à une norme partagée socialement construite. A travers ce cadre d’analyse, notre ambition est de répondre à la question suivante : « Comment l’usage du télétravail façonne-t-il une norme sociale ? ». Pour y répondre, nous optons pour une méthodologie qualitative abductive favorisant le dialogue performatif et systématique entre le cadre d’analyse développé et le terrain (Parker, 2002 ; Avenier et Gavard-Perret, 2012). Notre terrain est composé d’une étude exploratoire et de deux études de cas réalisées dans le secteur des assurances et de la logistique. Au total, cela représente 118 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 66 minutes, intégralement retranscrits et analysés par le biais du logiciel NVivo selon une double démarche d’analyse par thèmes et par catégories conceptualisantes (Paillé et Mucchielli, 2012). Les deux cas investigués se caractérisent par un projet managérial visant à rationaliser les espaces de travail par l’introduction de pratiques de flexdesk et de cleandesk, à introduire le télétravail et à supprimer le système de pointage. Nos résultats montrent, dans les deux cas, une transformation du cadre normatif se traduisant par une évolution de la convention. En l’espace de quelques années, le message est passé de « vous devez être au bureau pour travailler et faire vos heures ! » à « soyez performants ! ». Cette évolution est largement supportée par une rhétorique managériale définissant ce qu’est un « bon » (télé)travailleur autour de principes tels que l’autonomie, la responsabilité et l’efficacité. Plus qu’un discours, l’ambition managériale semble être de définir une nouvelle norme orientant les comportements des individus (Alvesson et Wilmott, 2002). Nos résultats montrent comment cette rhétorique semble intégrée par certains qui vont davantage chercher des conditions de travail considérées comme plus efficaces (ex. déserter les bureaux, reconfigurer les modes de coordination). Pour d’autres, il s’agit d’anticiper, de rattraper ou de réduire du retard (en dehors des temps classiques de travail), d’évaluer la pertinence d’être présent à une réunion, ou encore, de rogner sur les temps de déplacement pour le réinvestir, totalement ou partiellement, dans le travail. Bien que cohérents avec la nouvelle convention, ceci ne traduit pas pour autant un phénomène de disciplinarisation dans la mesure où, à travers leurs stratégies individuelles et collectives, les acteurs attestent de leur capacité à résister, à affirmer des choix et à tenter s’autonomiser par rapport un dictat managérial (Courpasson, 2000). Par conséquent, si les structures normatives agissent sur les comportements des acteurs, ces derniers agissent sur les structures, et contribuent, par ce biais, au façonnage d’une nouvelle convention. Si certains éprouvent des difficultés à résister à la flexibilité (ex. hyper-connectivité), pour d’autres, il s’agit d’une opportunité de se réapproprier cette flexibilité dans une visée multi-performative (vie privée). Ce sont donc des acteurs « consentants » qui intègrent la rhétorique managériale car elle offre des opportunités de correspondre à la fois à ce qu’il est attendu d’un bon travailleur mais également d’un bon parent, d’un bon ami, d’un bon conjoint. Ceci montre que la convention comme système de règles ne peut être appréhendée en dehors d’un contexte sociétal plus large et témoigne ainsi de l’existence d’autres conventions, situées en dehors de l’entreprise, qui donnent du sens aux acteurs lorsqu’ils ont à décider à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation. C’est d’ailleurs parce que le principe de performance est menacé dans l’une des sphères, que certains ont quittés – ou menacent de quitter – l’entreprise. Par conséquent, la convention d’effort façonne autant qu’elle est façonnée par des rationalités de différentes natures mais orientées par un principe de performance. Dès lors, pour autant que l’organisation des sphères privée et professionnelle répondent à ce principe, les conventions ne sont pas questionnées et se renforcent mutuellement.
Original languageFrench
Publication statusPublished - 2019
Externally publishedYes
Event8ème rencontres des Perspectives critiques en management - ESG UQAM, Montréal, Canada
Duration: 2 Oct 20193 Oct 2019

Seminar

Seminar8ème rencontres des Perspectives critiques en management
Country/TerritoryCanada
CityMontréal
Period2/10/193/10/19

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