"Dévorer des yeux : les écrivains belges dans les "cuisines" de la peinture"

Laurence Brogniez

    Research output: Contribution to journalArticle

    Abstract

    À la fin du XIXe siècle, menacée par la décrépitude, la terre flamande apparaît comme une terre promise pour les naturalistes en mal d'éditeurs, les organismes détraqués et les amateurs de "belles pâtes". Cette assimilation entre tradition picturale et identité nationale doit beaucoup à une série d'écrivains belges qui ont su profiter de l'émergence du courant réaliste pour s'inscrire dans la modernité en revendiquant une originalité "racique" dans la descendance des grands peintres du passé, représentants "d'une race qui de tout temps a passé pour aimer la bombance". Objet d'une lecture symbolique, la peinture qui met en scène l'aliment se voit doter d'une série de qualités métaphoriques que l'écriture tend à son tour à s'approprier : richesse, abondance, générosité, etc. Exhaussée au rang d'objet esthétique, la nourriture attire en retour l'attention du spectateur sur la matérialité du tableau, sa proximité, excitant l'envie de toucher, de sentir, de goûter. Par l'utilisation de la métaphore culinaire, le critique d'art invite le regard à se repaître de l'oeuvre dans toute sa plénitude matérielle. Par ailleurs, la description des festins, banquets et autres ripailles contribue également à l'élaboration d'une véritable mythologie nationale, renversant la pyramide des arts pour mettre à son sommet, en lieu et place de la peinture d'histoire ou de la peinture religieuse, le genre et la nature morte. La tradition ressuscitée croise ainsi, à la faveur de l'émergence des mouvements réalistes et naturalistes, la modernité, revue et corrigée à la lumière d'un "atavisme" revendiqué haut et fort. Le peuple débraillé des kermesses de Bruegel, Jordaens ou Teniers renverse les dieux de l'Olympe pour constituer un nouveau panthéon. La référence plastique, par le cadre qu'elle impose à la réalité décrite, élève les sujets les plus populaires, les plus triviaux, les plus quotidiens au rang d'archétypes.
    Original languageFrench
    Pages (from-to)20-32
    Number of pages13
    JournalTextyles
    Volume22
    Publication statusPublished - 2002

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