Abstract
Nous proposons ici un essai de synthèse interdisciplinaire d’approches scientifiques . Nous apportons aussi des schémas synthétiques originaux.
Le phénomène de la ‘spiritualité’ individuelle est à distinguer, selon nous, du phénomène ‘religieux’, qui est social, selon les définitions actuelles des nombreux sociologues. Nous pouvons faire l’hypothèse que la spiritualité individuelle est aussi ancienne que l’humanité. En revanche, nous allons le voir, l’émergence de la religion au sein d’un groupe, avec ses croyances et ses rites partagés, semble bien plus récente.
Selon la ‘synthèse évolutive étendue’ en vogue actuellement, au moins deux processus théoriques bien distincts se trouvent sous le vocable de ‘sélection naturelle’ au sens large. Le premier est la sélection biologique des individus (ou organismes) les mieux génétiquement adaptés. C’est la sélection naturelle darwinienne au sens strict. Le second est la sélection socioculturelle des super-organismes les plus aptes, les super-organismes étant définis comme composés, d’une part, d’êtres humains capables d’innovation et, d’autre part, d’unités sociales régulées par la culture. Ainsi donc, les super-organismes, tout comme les organismes, peuvent connaître certains problèmes d’adaptation mais leur dynamique de sélection diffère : la sélection biologique darwinienne est ‘aveugle’ tandis que la sélection socioculturelle est ‘intentionnelle’.
Comment sont nées les religions ? En réponse à cette question, notons, tout d’abord, que nos très proches cousins, les chimpanzés, ont dû hériter, tout comme nous, de certains caractères de notre ancêtre commun récent. C’est ainsi qu’ils manifestent des comportements ‘rituels’ (au sens large), par exemple, lorsqu’ils construisent, de façon récurrente, des cairns (amas de pierres) au pied de certains arbres. Les racines biologiques de la religion sont donc très profondes. Examinons maintenant deux scénarios évolutifs proposés récemment par des scientifiques, en commençant par celui du psychologue cognitif et développemental Tomasello (2016). Celui-ci se base sur les résultats de sa vaste étude comparative expérimentale des capacités cognitives des grands singes et des enfants humains. Pour lui, la moralité est une forme de coopération (ou d’interdépendance). Dans le scénario qu’il propose, Homo sapiens lorsqu’il sort d’Afrique, possède déjà trois niveaux de moralité, qui sont apparus successivement et qui correspondent à un accroissement de leur interdépendance :
• la tendance à la coopération basée sur la sympathie (comportement existant déjà chez tous les grands singes [et donc hérité d’un ancêtre commun]), s’adressant à la famille et aux amis ;
• celle qualifiée de « moralité à la seconde personne » (qui est universelle et qui serait apparue, dans le cadre de la chasse devenue nécessaire à la survie, en raison de modifications climatiques) : collaboration entre deux individus dans des circonstances spécifiques ;
• la « moralité culturelle et objective », dictée par un groupe et s’adressant exclusivement à tous les membres du groupe. Elle résulterait d’un accroissement de la population et aussi de la complexité dans la division du travail.
Et selon Tomasello, les humains vont acquérir ultérieurement un niveau supplémentaire de moralité, basé cette fois sur la religion.
Selon la thèse des sociologues Turner, Maryanski et al. (2018) (fondée sur leur analyse cladistique de données sur les primates ainsi que leur comparaison de la neuro-anatomie du cerveau des humains et des grands singes), l’émergence de la religion se serait réalisée en deux étapes : la première étant l’apparition d’une religion ‘familiale’, fruit essentiellement de la sélection biologique liée à des modifications écologiques, et la seconde, celle d’une religion ‘institutionnalisée’, résultant fondamentalement de la pression de sélection socioculturelle en lien avec l’augmentation de la taille de la population.
Au total, tous ces scientifiques s’accordent à considérer l’émergence de phénomènes culturels (moraux ou religieux) comme procédant d’une adaptation à des contraintes du milieu.
Pourquoi les religions sont-elles nées ? Selon l’hypothèse du médecin et neuroscientifique Damasio, les sélections naturelles, tant biologiques que culturelles, sont guidées par un impératif puissant : celui de l’homéostasie au sens large c’est-à-dire de « la recherche d’états viables et régulés positivement qui tendent à favoriser le développement ». Damasio affirme que ce sont les sentiments (c’est-à-dire les perceptions des émotions), « en leur qualité d’adjoints de l’homéostasie », qui sont les catalyseurs de réactions qui « ont permis l’émergence des cultures humaines ». Et l’émergence du phénomène religieux, composante importante de toute culture connue, ne fait pas exception. « Les humains voulaient trouver le remède aux tourments de leur cœur ; réconcilier les contradictions générées par la souffrance, la peur, la colère et la poursuite du bien-être. […]. C’est ainsi que notre esprit créateur de culture s’est perpétuellement adapté à la dramaturgie humaine, de la naissance jusqu’à la mort »
Le phénomène de la ‘spiritualité’ individuelle est à distinguer, selon nous, du phénomène ‘religieux’, qui est social, selon les définitions actuelles des nombreux sociologues. Nous pouvons faire l’hypothèse que la spiritualité individuelle est aussi ancienne que l’humanité. En revanche, nous allons le voir, l’émergence de la religion au sein d’un groupe, avec ses croyances et ses rites partagés, semble bien plus récente.
Selon la ‘synthèse évolutive étendue’ en vogue actuellement, au moins deux processus théoriques bien distincts se trouvent sous le vocable de ‘sélection naturelle’ au sens large. Le premier est la sélection biologique des individus (ou organismes) les mieux génétiquement adaptés. C’est la sélection naturelle darwinienne au sens strict. Le second est la sélection socioculturelle des super-organismes les plus aptes, les super-organismes étant définis comme composés, d’une part, d’êtres humains capables d’innovation et, d’autre part, d’unités sociales régulées par la culture. Ainsi donc, les super-organismes, tout comme les organismes, peuvent connaître certains problèmes d’adaptation mais leur dynamique de sélection diffère : la sélection biologique darwinienne est ‘aveugle’ tandis que la sélection socioculturelle est ‘intentionnelle’.
Comment sont nées les religions ? En réponse à cette question, notons, tout d’abord, que nos très proches cousins, les chimpanzés, ont dû hériter, tout comme nous, de certains caractères de notre ancêtre commun récent. C’est ainsi qu’ils manifestent des comportements ‘rituels’ (au sens large), par exemple, lorsqu’ils construisent, de façon récurrente, des cairns (amas de pierres) au pied de certains arbres. Les racines biologiques de la religion sont donc très profondes. Examinons maintenant deux scénarios évolutifs proposés récemment par des scientifiques, en commençant par celui du psychologue cognitif et développemental Tomasello (2016). Celui-ci se base sur les résultats de sa vaste étude comparative expérimentale des capacités cognitives des grands singes et des enfants humains. Pour lui, la moralité est une forme de coopération (ou d’interdépendance). Dans le scénario qu’il propose, Homo sapiens lorsqu’il sort d’Afrique, possède déjà trois niveaux de moralité, qui sont apparus successivement et qui correspondent à un accroissement de leur interdépendance :
• la tendance à la coopération basée sur la sympathie (comportement existant déjà chez tous les grands singes [et donc hérité d’un ancêtre commun]), s’adressant à la famille et aux amis ;
• celle qualifiée de « moralité à la seconde personne » (qui est universelle et qui serait apparue, dans le cadre de la chasse devenue nécessaire à la survie, en raison de modifications climatiques) : collaboration entre deux individus dans des circonstances spécifiques ;
• la « moralité culturelle et objective », dictée par un groupe et s’adressant exclusivement à tous les membres du groupe. Elle résulterait d’un accroissement de la population et aussi de la complexité dans la division du travail.
Et selon Tomasello, les humains vont acquérir ultérieurement un niveau supplémentaire de moralité, basé cette fois sur la religion.
Selon la thèse des sociologues Turner, Maryanski et al. (2018) (fondée sur leur analyse cladistique de données sur les primates ainsi que leur comparaison de la neuro-anatomie du cerveau des humains et des grands singes), l’émergence de la religion se serait réalisée en deux étapes : la première étant l’apparition d’une religion ‘familiale’, fruit essentiellement de la sélection biologique liée à des modifications écologiques, et la seconde, celle d’une religion ‘institutionnalisée’, résultant fondamentalement de la pression de sélection socioculturelle en lien avec l’augmentation de la taille de la population.
Au total, tous ces scientifiques s’accordent à considérer l’émergence de phénomènes culturels (moraux ou religieux) comme procédant d’une adaptation à des contraintes du milieu.
Pourquoi les religions sont-elles nées ? Selon l’hypothèse du médecin et neuroscientifique Damasio, les sélections naturelles, tant biologiques que culturelles, sont guidées par un impératif puissant : celui de l’homéostasie au sens large c’est-à-dire de « la recherche d’états viables et régulés positivement qui tendent à favoriser le développement ». Damasio affirme que ce sont les sentiments (c’est-à-dire les perceptions des émotions), « en leur qualité d’adjoints de l’homéostasie », qui sont les catalyseurs de réactions qui « ont permis l’émergence des cultures humaines ». Et l’émergence du phénomène religieux, composante importante de toute culture connue, ne fait pas exception. « Les humains voulaient trouver le remède aux tourments de leur cœur ; réconcilier les contradictions générées par la souffrance, la peur, la colère et la poursuite du bien-être. […]. C’est ainsi que notre esprit créateur de culture s’est perpétuellement adapté à la dramaturgie humaine, de la naissance jusqu’à la mort »
Original language | French |
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Title of host publication | Actes du Colloque « Symbols, Myths and religious sense in Humans since the First », Académie pontificale des Sciences, 27-28 octobre 2021 |
Publication status | Unpublished - May 2022 |