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Description

La « théorie des biens communs » permet d’envisager un nouveau modèle de gouvernance où « les décisions des humains de construire ensemble leur mode de production et de trouver des règles qui ne ressemblent pas à l’imagerie du marché afin d’auto-gérer leurs actions communes, pourraient revenir au centre de la réflexion »1. Il ne s’agit pas ici d’une prise de position politique. L’enjeu de la théorie nous paraît dépasser de loin la « politique » au sens spécifique du terme. Cette théorie permet de penser – même au niveau de la recherche scientifique – un autre modèle d’organisation de la société qui puisse répondre de façon plus adéquate à la crise profonde - éthique et politique à la fois - qu’elle traverse et qui résulte d’un ensemble de crises (économique, sociale, écologique) qui interagissent entre elles.
Aujourd’hui, la réflexion sur les « communs » est devenue de plus en plus présente dans toutes les organisation sociales et politiques qui trouvent leur fondement dans un modèle que l’on peut définir comme « capitaliste ». La récente crise sanitaire a même rendu cette réflexion urgente, en se révélant finalement comme la conséquence naturelle de toutes les autres crises qui traversent la société. La manière d’exploiter les territoires rendant de plus en plus fréquente la promiscuité entre animaux sauvages, domestiques et les hommes ; la manière de conduire l’expérimentation scientifique au risque de favoriser les condition idéales au développement de virus ou de bactéries qui deviennent ensuite ingérables ; les conditions socio-économiques de populations entières qu’on laisse exposées aux catastrophes naturelles provoquées en partie par l’activité humaine et dont la vulnérabilité devient un danger permanent pour eux et pour tous ; la « marchandisation » des soins de santé dont l’accès dans de nombreux pays du monde reste l’apanage de plus favorisés rendant plus difficile la prise en charge de situations d’urgence comme une pandémie, etc., sont des éléments qui, selon la majorité des experts, ont contribué à créer le terreau favorable au développement de la pandémie.

Outre la crise sanitaire, la révolution technologique qui s’appuie sur la généralisation du numérique dans tous les secteurs de l’activité humaine, jusqu’à produire l’homme augmenté ou les robots humanoïdes autonomes, ouvre un nouvel espace à la réflexion concernant les « biens communs ». Les progrès dans les connaissances et dans la circulation de l’information rendus possible par le développement du numérique impliquent en effet la mise en place de règles collectives pour gérer le fonctionnement des réseaux et l’utilisation - voire l’exploitation - de bases de données de plus en plus nombreuses, d’ordre privé et publique.

Travailler sur le bien commun et sur les « biens communs » n’est donc plus un luxe aujourd’hui. C’est au contraire le devoir de tout intellectuel, de tout chercheur et de tout citoyen qui veuille assumer les responsabilités qui lui sont confiées en tant que personne inscrite dans la commune humanité. L’histoire et l’actualité exigent ce travail de prise en compte des «biens communs » et de ce qui est commun entre tous.

Si en 2009, Elinor Ostrom définissait les « biens communs » comme cette forme de propriété et de gouvernance qui place les décisions de la communauté au centre des jeux économiques et qui en fait le pilier de l’organisation de la société, c’était parce qu’elle n’identifiait pas ceux-ci uniquement aux ressources à partager, comme si la gouvernance des « communs » n’impliquait qu’une nouvelle manière d’envisager la « propriété ». Elle les identifiait surtout aux ressources d’une communauté dont la gestion devait résulter de la négociation entre des individus qui se conçoivent en relation les uns avec les autres et qui, ayant à cœur le collectif, communiquent non pas en vue de l’intérêt immédiat et particulier des individus, mais en vue de la bonne gestion de ces mêmes biens.

On comprend alors que l’intérêt envers les « biens communs » implique une anthropologie comme celle que Maritain suggérait dans sa manière de définir la personne et le bien commun. Cette anthropologie fait de l’Homme un être relationnel dont la caractéristique est de s’exprimer naturellement à travers une organisation sociale et politique dans laquelle la gestion de la res publica est confiée à la collectivité et manifeste les spécificités de celles-ci, et cela dans tous les champs d’activité humaine (la science, le droit, la santé, la politique, la culture, l’art, le sport, etc.). Cette théorie permet d’imaginer de nouveaux modes d’organisation de la société sous la forme d’une gouvernance plus participative et centrée sur le dialogue et la discussion, dans laquelle les règles et les lois pourraient être issues de l’accord et de la médiation opérée en collectivité. Cela pourrait donner une nouvelle impulsion à nos démocraties en crise.
On voit aisément que cette nouvelle organisation sociétale est dirigée vers un bien pour tous, vers la résolution des conflits que la privatisation (ou la gestion privatisée) des ressources engendre et ne parvient pas à solutionner.

Ceci dit, les problèmes que cette théorie ouvre ne sont pas des moindres.
Pour en assurer la réussite, ne faudrait-il pas mieux baliser cette notion de « communs » ? Dans une société où, malgré tout, le ressort individuel reste de mise et où l’on prône à tout vent l’épanouissement personnel, le bien-être conçu comme l’apaisement de ses propres émotions et l’expression de sa liberté individuelle, ne faudrait-il par revenir sur le rapport existant entre ces « communs » et l’accomplissement de soi, entre ces « communs » et la visée du bien pour soi d’une part et la justice – ou juste distribution des biens- dans la société d’autre part ? Cela n’impliquerait pas de repenser notre propre conception du bien, du juste et de leur rapport (rapport que le pragmatisme contemporain a fait disparaître en les séparant, le bien étant la visée dans la sphère privée et le juste celle d’une forme d’égalité à garantir dans la sphère publique). Ne faudrait-il pas aussi repenser la notion de liberté qui, aujourd’hui, est conçue plus comme une liberté individuelle régie par le principe de non nuisance envers autrui et pas comme la liberté de pouvoir choisir le bien indépendamment et même au travers de tout ce qui conditionne les vies humaines? Autrement dit, comment passer de la notion de biens communs à celle de bien commun ? Et qu’est-ce qui autoriserait ce passage ?

Ces questions mènent tout droit au cœur de ce projet : chercher une « possible » définition d’un « bien » qui puisse être dit commun. Une telle définition est-elle possible ? Et à quelles conditions ? Relève-t-elle de l’éthique, de la philosophie, de la politique, du théologique ou simplement des pratiques? Et d’autre part, si une telle définition n’est pas possible, est-il réaliste d’imaginer une nouvelle organisation sociale fondée sur une communauté qui s’organiserait autour de la gestion des « communs » ?

L’enjeu de cette recheche est celui d’approfondir ces questions et de tenter d’y apporter des réponses en explorant le plus largement possible tous les secteurs de l’activité humaine.
Short titleBien commun
StatusActive
Effective start/end date1/01/21 → …